Sept manières dont le monde a changé grâce à Edward Snowden

Le 5 juin 2013, le lanceur d’alerte Edward Snowden révélait la première preuve flagrante de l’existence de programmes mondiaux de surveillance de masse. Depuis cela, nous avons appris que l’Agence nationale de sécurité américaine (NSA) et son équivalent britannique, le Quartier général des communications du gouvernement (GCHQ) surveillaient les activités en ligne et les communications téléphoniques de millions de personnes dans le monde. Deux ans après les révélations d’Edward Snowden, nous souhaitons faire le point sur ce qui a changé grâce aux documents qu’il a divulgués. (Lire le rapport complet, Deux ans après Snowden.)

Privés de vie privée ?

Alors que les États-Unis semblent faire marche arrière sur les questions de surveillance massive par la NSA, en France le projet de loi sur le renseignement parait faire le chemin inverse. Depuis la naissance des technologies modernes de communication, la surveillance de ce qui passe dans les tuyaux a toujours butté sur la question de la protection de la vie privée des individus. Un équilibre fragile que logiquement seule la loi doit préserver en définissant clairement qui peut faire quoi, comment et pourquoi. Car une fois que le sentiment de surveillance s’installe, la liberté de chacun s’efface.

Bien informés ?

Ainsi, nous vivons un véritable âge d’or du journalisme. C’est ce qu’affirmait il y a déjà 5 ans ( aussi bien dire une éternité ) Michael Shapiro, professeur de journalisme au Columbia University Graduate School of Journalism.*

Je le crois sincèrement. Les journalistes ont accès à une foule d’outils, de données et de plateformes pour diffuser leurs contenus. Ils peuvent proposer des piges à des médias étrangers plus facilement, fonder une entreprise de presse en mode collaboratif, demander au public de financer leurs enquêtes via des sites de financement communautaire, etc.

Cet âge d’or ne nous soustrait pas aux normes établies de rigueur, d’exactitude, de vérité, d’équité et d’impartialité.
Comme responsable éditorial d’un service public, je m’interroge sur la puissance des technologies qui façonnent les algorithmes qui eux mêmes semblent enfermer les citoyens dans des bulles dont il est difficile de sortir.
Comment alors rejoindre le public, le citoyen qui place en nous sa confiance pour s’informer?
Comment le mettre en contact avec des enjeux qui à priori ne circulent pas dans sa «bulle d’opinion» ?
Comment lui faire la preuve, à ce même citoyen, que nous sommes impartiaux, équitables et équilibrés s’il n’a accès qu’aux sujets qu’il «aime» dans son fil Facebook et que ses amis lui partagent?

Une de nos responsabilités est sans aucun doute de renseigner le public sur ces enjeux dont on ne parle que trop peu. Il faudrait aussi s’interroger sur les raisons pour lesquelles les médias généralistes ne s’intéressent pas à ces questions. Les journalistes connaissent-ils bien ces enjeux? Les trouvent-ils trop complexes, ou trop techniques pour en comprendre le fonctionnement? Peut-être trouvent-ils que ce sont des questions réservées aux ingénieurs et autres petits génies du numérique.

Pourtant, il y a de quoi être inquiet. Même de redouter un certain danger. Quoi de pire dans une société démocratique que la pensée unique. Quoi de pire que d’ignorer les autres courants de pensée qui façonnent notre monde. Quoi de pire que de se conforter dans nos opinions, que de se prélasser dans l’indifférence de l’existence d’un certain ailleurs idéologique.

Notre rôle n’est pas de dicter ce qui est bon ou mauvais, bien ou mal, moral ou non. Nous avons le devoir de décrire la réalité telle qu’elle est; parfois crue, parfois difficile, souvent nuancée dans une déclinaison infinie.

Ne pas avoir accès à ces réalités, à toutes ces réalités, est en fait un appauvrissement pour le citoyen qui croit pourtant vivre dans un fleuve en crue gorgé d’informations alimenté de toutes les rivières et sources disponibles.

Il nous importe donc de décrire cet enfermement virtuel aux réelles conséquences, de l’expliquer, le faire comprendre… Il est également de notre devoir de questionner les stratégies des géants que sont les Google, Facebook et Yahoo ( toutes des sociétés cotées en bourse ).

Si le public connaissait mieux ce que ces entreprises font de leurs données, de leur habitudes, de leurs goûts, de leurs opinions, de leurs valeurs, peut être que certains changeraient leurs façons de consommer leurs produits.

De plus en plus éduqué, le public pourrait se tourner vers d’autres entreprises qui affirment ne pas créer d’effet de bulle ou encore ne pas amasser des informations personnelles comme duckduckgo.com ( actuellement classé au 569e rang des sites les plus fréquentés sur le web par la firme alexa… google.com étant… 1er ).

Car, pour citer Alfred Sauvy, démographe, économiste et sociologue français : « Bien informés, les hommes sont des citoyens ; mal informés, ils deviennent des sujets ».

Christian Thivierge
Rédacteur en chef, information multiplateforme, ICI Radio-Canada.ca

 

Vive les filtres ! Mais choisissons-les.

C’est la nouvelle antienne : Internet nous enferme dans une bulle informationnelle. Parce que nous nous informons de plus en plus via ce que nos « amis » postent sur Facebook, via ce que Facebook sélectionne pour le placer dans notre fil d’actualité, via ce que les gens que nous suivons sur Twitter tweetent ou retweetent etc. Bref, les « gate keepers » traditionnels que sont les médias et autres autorités perdent du terrain en faveur de processus plus horizontaux, qui mêlent le relationnel et l’algorithmique. Tout cela est indéniable. Il suffit de considérer l’évolution de Page Rank, l’algorithme du moteur de recherche de Google, pour constater que d’un modèle qui s’alignait sur celui du classement des revues scientifiques (l’article qui arrive en tête du référencement est celui qui est cité par le plus grand nombre d’articles eux-mêmes bien référencés), on est passé à un modèle de plus en personnalisé qui intègre d’autres paramètres comme le lieu géographique depuis lequel est effectuée la recherche, les recherches précédentes etc. D’où la dénonciation d’un Internet qui nous ne ramènerait qu’au même, qu’au proche, qu’à ce que nous connaissons, qu’à ce qu’on nous prête comme goût… Mais est-ce pour autant un drame ? D’abord, la déploration d’une époque révolue où l’information était plus sérendipitaire serait à tempérer. Certes, il fut un temps où le Web était moins dirigiste, mais qui le fréquentait ? Beaucoup moins de gens. Et ceux qui le fréquentaient – une avant-garde éclairée faite d’ingénieurs, d’universitaires et de curieux de tout poil – n’avaient sans doute pas besoin de lui pour varier leurs sources d’information. Le reste, dans sa grande majorité, regardait la télé, écoutait de temps en temps la radio et lisait son quotidien local, sans avoir accès à beaucoup d’autres sources d’information. Est-ce que c’était mieux ? Pas sûr. L’Internet d’aujourd’hui, même en voie de personnalisation, offre un éventail de sources inédit dans l’Histoire. Et puis, est-ce que l’information nous est jamais arrivée d’elle-même ? Sans filtres ? Dans sa pureté originelle et sa magnifique pluralité ? N’y a-t-il pas eu des familles où on a lu Ouest-France – et que Ouest- France – pendant des générations ? D’autres où ce fut le combo France Inter-Télérama ? Le regret d’une information qui nous serait arrivée sans être sélectionnée, triée, transformée est sans doute celui d’une période qui n’a jamais existé. Et puis il ne faut pas négliger l’immense confort de ces filtres. Parce que nous ne pouvons pas tout voir, et que nous ne voulons pas tout voir. Comme l’explique le sociologue Dominique Cardon, nous serions sans doute étonnés si on nous mettait face à ce que nous lisons vraiment dans un journal. Et l’information qui nous arrive aujourd’hui subit toute une succession de filtres parmi lesquels il est bien possible qu’Internet et les algorithmes arrivent bien derrière ceux qui sont installés depuis bien longtemps et que les réseaux sociaux n’effacent d’ailleurs pas : socio-économiques, générationnels, culturels… Néanmoins, il y a une différence essentielle, c’est la nature de ces nouveaux filtres. Ils sont algorithmiques, très souvent secrets, et à but marketing. Que ce soit pour nous garder plus longtemps dans la plateforme ou pour mieux cibler la publicité, ces filtres obéissent à une logique qui est, dans les faits, très économique – et donc politique. Et ce qu’on peut regretter, c’est que cette dénonciation des filtres et de la sélection de l’information se fasse plus dans une défense philosophique – et presque poétique – d’une période où nous avions tout notre libre-arbitre et nous flânions dans l’immensité de la Babel informationnelle, qu’avec des arguments plus politiques et pragmatiques. Pour le dire autrement, on pourrait exiger de choisir nos filtres, on pourrait exiger de connaître exactement la nature de ceux qui nous sont imposés et d’avoir la possibilité d’en choisir d’autres. Demander que ce soit exposés les algorithmes, qu’ils soient expliqués, traduits. On pourrait demander à ce qu’ils puissent être adaptés, pourquoi pas personnalisés (au lieu que ce soit, comme aujourd’hui, les algorithmes qui personnalisent). Ne pas personnaliser l’information donc, mais la manière dont elle arrive. Le problème est moins la quête d’un libre-arbitre impossible que l’identification – et donc un début de maîtrise – de ce qui y fait obstacle. Xavier de La Porte – Rédacteur en chef de Rue89

Eli Pariser nous met en garde contre « les bulles de filtres » en ligne

Alors que les compagnies internet s’efforcent d’ajuster leurs services à nos goûts personnels (y compris l’actualité et les résultats de recherche), une dangereuse conséquence, involontaire, émerge : nous nous retrouvons piégés dans une « bulle de filtres » et ne nous trouvons pas exposés à l’information qui pourrait remettre en question ou élargir notre perception du monde. Eli Pariser argumente avec force qu’au final cela s’avérera mauvais pour nous et pour la démocratie.

La vie privée se porte bien, merci pour elle

Les inquiétudes que suscite le traitement des données numériques personnelles n’ont jamais été aussi fortes. Le spectre d’une surveillance omnisciente s’exerçant sur une société transparente hante désormais les discours publics et les représentations des utilisateurs à un point tel que l’imaginaire de liberté et de réinvention de soi qui a accompagné le développement d’Internet apparaît à certains comme une farce cruelle. D’instrument de libération, le web serait devenu l’outil d’un nouvel asservissement. Les enjeux de la protection de la vie privée et des données personnelles, il est vrai, sont d’une rare complexité et ce dossier du Digital society forum voudrait donner quelques clés de lecture pour mieux se repérer dans ce débat multiforme où nos représentations entrent souvent en contradiction avec nos pratiques.

Comment protéger ses données selon Edward Snowden

Edward Snowden parle de ce qui a et va changer, deux ans après ses révélations fracassantes sur la surveillance massive des citoyens par les gouvernements. Le 8 mai 2015, Edward Snowden est intervenu sur la surveillance et la sécurité numérique aux Journées nordiques des médias de Bergen, en Norvège. La séance était animée par le journaliste Ole Torp, qui a commencé par demander comment Snowden et moi nous étions rencontrés. Ce qui suit est une retranscription légèrement éditée de mon interview avec Snowden. Toutes les questions ont été soumises par des journalistes norvégiens dans les jours qui ont précédé la séance.

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